« Au commencement était le verbe,
et le verbe se fit chair.. »
Et la chair se fit verbe
Poème barbare...
Chronique d'une passion inachevée
Ou Iliade et Odyssée Kurde
à Atuargues
Petit Prince aux yeux verts
Guérilléro, truand et soldat,
Ange patibulaire, chimère:
Kurde et Turc à la fois,
Jeune guerrier disloqué
Barbarie, drogues et tortures,
La face obscène de la guerre,
La loi, dit-on, de la Nature
Inscrites indélébiles
Au fond de tes yeux clairs
Et sur ton corps, fort et fragile,
Sur ton corps arraché aux enfers,
Halluciné et empris,
Les hideuses ratures de la vie.
Et pourtant... L'ambre brun de tes bras, ta douceur,
Et soudain ta folle passion: générique, brutale,
Explosion de vie chamelle après l'horreur
Et de la douleur aussi, antalgique et létale.
Tes mains. Au seul contact de ma peau,
Instantanément tu pris feu, un feu de cristal
Tel l'Hydrogène dans l'air, le Sodium dans l'eau.
Une archaïque effraction d'un instant avancée.
Réaction chimique? Séculaire? Préhistorique?
Ainsi les hommes firent-ils autrefois?
Sais- tu ? Oui, tu le sais. Tu m'as quasiment violée
Erdal, même si en effet j'avais dit oui. Oui, mais...
Oui certes, mais tout de même. Oui à quoi?
Réponse virile, immuable et éternelle:
Evet yakinta * *Oui,après
-Mais cette fois, c'était exact.-
Et sur ma peau claire il y eut les marques de tes
doigts.
Car soudain, après t'avoir repoussé,
Vint la joie folle, la commune démence
Eperdument consentante, exigeant ce que tu
exigeais
Tes bras m'immobilisant, me pliant à ton -à mon désir,
à ton gré
Amour bouleversé de cette violence
Me tenant sans recours, paralysée
Ton corps m'effractant sans souci -apparent- de
moi-même
Oui ? Avec toi, il faut peser les mots: oui, mais. ..
Mais.. .
Et tu le dis en Français, sans accent, -cela aussi
m'envoûta- : -Je t'aime. »
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Un viol, comment dire, à demi? Il n'y a pas de
terme pour cela.
Maladresse ? Non, même pas. . .
En toi, dis-tu, quelque chose d'inconnu, soudain a
dominé
- «Car le Dieu, ô Phèdre est dans celui qui aime
et non dans celui qui est aimé». ..-
Quelque chose que tu as laissé me contraindre,
m'assujettir
Et cette chose,
-Le Dieu de Platon peut-être? A moins que ce ne
soit le Dragon de Merlin? -,
Cette chose, le temps d'un soupir,
Je m'y suis soumise, l'ai voulue, provoquée et
exaltée.
Nous en avons ri après coup. Fiers ou honteux?
Sans doute les deux. ..
Etonnés de nous-mêmes, envoûtés par un mystère
Féerique: naturel et surnaturel, éphémère et
éternel, obscène et glorieux,
Qui se jouait sur nos chairs
Dans nos âmes et dans nos yeux
Hypnotisés, corps
Captifs d'un de l'autre, et d'un autre encore,
Nous n'étions plus deux êtres, mais l'image du
Dieu.
Ce n'était pas un viol en effet.
-Affederziniz lutfen, sen seviorum Hélène
Pardon s'il te plaît... Je t'aime
Tu savais. Magicien? Poète? Sourcier?
Ou seulement infatué de toi-même?
Cela aurait pu ne pas être.
Sevmior ?* *Jen'aimepas
Et alors c'eût été bel et bien un viol.
La limite est ténue entre le oui et le non, la balance
Entre répulsion et jouissance
Est imprécise et mal étalonnée.
Des vibrations de nos corps enlacés,
Il n'y a pas de mesure: mais ce fut oui en effet.
Et ce fut même plus encore, s'il te plaît.
Un jeu dangereux, Erdal ; mais -il te soulage- tu
aimes le danger.
Fais-tu de même avec toutes les femmes?
Ta réponse nette m'affouillajusqu'à l'âme:
Non, seulement avec toi. Je n'ai aimé personne
comme cela.
Une évidence: pourquoi?
Transe duelle qui l'un par l'autre se rythme et se
renvoie,
Se réfléchit, se déploie et s'exacerbe. Rime et
jubile.
Miroir: à ta folle violence, avec joie, magistrale et
servile,
Du plus lointain d'un être archaïque ignoré, animal
et humain,
Sensuel et poétique, je me suis de moi -même
exposée.
Psaume: argument lyrique et coryphée.
Reprises infinies, identiques et inversées.
Envoûtement. Le chant du monde, le chant des
corps?
Le chant du monde, sûrement, le chant du monde,
toujours:
Pulsations magiques, éternel retour,
Accord parfait.
Que se passait-il? Rien et tout à la fois;
Une eau étale dans laquelle tu te plongeais
Comme si tu voulais t'y perdre, t'y noyer,
Te détruire et la détruire avec toi,
Une femme: la terre où tu t'ancrais:
Source et objet de ta joie sauvage
De ta jouissance désespérée,
Par toi sculptée et ciselée à ton image,
Ton image inversée.
Nous délirions bel et bien: toi, au début, moi, par
emprise,
Tous deux enfin, volontairement et de même
manière
Nous étions devenus sans jeu de mots, sans feindre
L'eau et le feu, le glaive et la chair,
La terre et l'air.
Combien devais-tu m'aimer pour ainsi
m'enfreindre. . .
M'aimer? Plus et moins que cela. Primitif instinct
de survie,
Sauvetage, oubli de soi, du spectre sanglant,
d'avant.. .
Grappin balancé sur une grève souple et blanche
Immense et vigoureuse cependant,
La blessant sans qu'elle ne s'épanche ni ne flanche
Puissante et fragile à la fois, s'offrant
Faussement docile, à ta faiblesse virile, et même, la
sollicitant.
Tout et rien à la fois: source de vie, miracle
Eternelle et Eternel, femelle et réceptacle
J'étais toi.
Comme si je ne pouvais que jouir de ce que tu
aimais et comme tu voulais
Infinie et sans importance à la fois: glèbe
empreinte de ton corps,
Bielle du divin, cariatide, anse, port, rocher où te
planter, t'arrimer,
Qui attend seulement que tu l' effractes. Encore,
Et le provoque et l'implore et l'exige, feignant de
se soumettre,
De consentir, de céder, de s'anéantir. Et asservit, et
conquiert.
Jeu étrange et éternel dont, malgré tout, tu n'étais
pas le maître,
Ni moi peut-être. Alors, Erdal, qui dans nos corps,
dans nos êtres, lejouait?
Par ta douceur et ta violence
Tout de suite associées,
Imprévisibles et démesurées,
J'étais toi, mais un toi purifié et innocent,
D'avant, d'avant l'horreur de cette guerre,
Que tu voulais boire, dévorer,
Sucer à mes seins le lait de ta mère
Ou d'une autre, une autre surtout. Pour oublier...
Oublier cette morte
Aux seins coupés,
Vivante,
Sur ta rétine, indélébile,
Imprimée.
Epouvante,
Terreur,
Abjecte, animale.
Vienne la vie, sonne I'heure,
Les jours s'en vont, Erdal,
Mais cela, oui, cela demeure.
En moi aussi.